La Ronda des pourquoi?

J-dernier mois

L’entrainement se passe bien. Je varie les sorties et j’accumule les heures. Sortie courte ou longue, fractionné ou fartlek, plat ou dénivelé, seuil ou marche, CàP ou vélo, jour ou nuit, à jeun ou soir,…

Deux grandes sorties sont faites. En CàP sur la Sainte Victoire, plus de 9h à la parcourir de haut en bas et de gauche à droite en prenant le plus de montées possibles. En vélo, avec l’Ardéchoise comme « course », ou plutôt comme sortie de cyclotouristes au vue du monde et du mode de départs échelonnés.

J-1

Je suis prêt. Physiquement il me semble avoir fait le nécessaire, comme prévu j’ai mangé du dénivelé. Mentalement, je sais où je vais, je sais la tâche difficile, je m’y suis également préparé. Seul léger souci, le boulot ne m’a pas épargné c’est dernier temps, je n’ai donc pas l’esprit totalement libre et surtout je ne suis pas aussi reposé que je ne l’escompté.

Tout est prêt. En arrivant le jeudi, directement nous passons par l’enregistrement et j’enchaine avec la constitution des deux sacs des bases vies. Il s’agit juste de transvaser les affaires, ils étaient déjà faits avant de partir de la maison.

Le timing est bon. On assiste au briefing, puis directement nous allons à l’appart-hôtel pour récupérer la clef. Nous pensions avoir passé l’heure, il n’en est rien. L’appart est très bien, propre et confortable, un bon plan. Il n’y a plus qu’à aller manger.

Jour J

Le petit déjeuner pris, je n’ai plus qu’à me vêtir de mon armure et me faire accompagner par Pascal et Laurent sur la ligne de départ. Ils sont bien plus décontractés que moi. Étant sur la CELESTRAIL, ils ont une bonne journée de répit et de repos.

Mon maître mot, à me ressasser pendant cette première journée : m’économiser !

Je ne vais pas y déroger, à peine le départ pris, je prends mon rythme. Les premières difficultés se présentent et s’enchainent. Et passent assez facilement.

Une pensée comparative s’installe et je ne cesse de penser à l’an dernier, comment j’étais à cet endroit, quand on commencer les premiers symptômes. Cela à l’avantage de me faire manger régulièrement car j’ai la hantise de tomber de nouveau dans cette boucle infernale et rédhibitoire. Cela a aussi l’inconvénient d’occuper une grande part de mon esprit, m’empêchant d’être libre et dans le temps présent.

Premier ravito, puis deuxième : RAS. A chaque portion, j’augmente mon avance sur mon estimation. Cela est rassurant, sachant que je fais attention dans chacune des descentes à ne pas me laisser emporter. Je suis dans l’économie, je m’y complais.

Troisième ravito, nous sommes au pied d’un morceau : la montée du COMAPEDROSA. La pente, le dénivelé, la taille des blocs à franchir, la raideur du pierrier, le finish mémorable, s’enchainent, s’avalent le sourire aux lèvres. Par contre le passage au sommet sera très bref, nous sommes dans les nuages, le vent et la pluie menaçante. Alors que l’an dernier j’avais fait la descente dans la nuit tombante, j’arrive et repartirai du quatrième ravito en plein jour. Ce ravito est peut-être une étape, j’ai froid et ressens un coup de fatigue, un coup de moins bien. Qui se traduit de suite par une difficulté à mâcher à avaler, à manger. Je le quitte un peu plus soucieux. D’autant que je sens dès les premiers mètres que mon rythme comme mon intérêt ont décliné. J’avance tout de même et me force à courir dès que la déclivité le permet. La nuit tombe dès le cinquième ravito passé. Et c’est la descente, The descente. Raide, longue et glissante. A trop vouloir m’économiser je reste un long moment derrière un non descendeur. Faute. Je suis systématiquement sur la retenu, et à la recherche d’appuis. C’est à plusieurs reprises que je me retrouve sur les fesses. Jusqu’au moment où une chute se solde par un craquement net et sans appel. Je viens de retomber sur l’un de mes bâtons légers, pliables, onéreux et de carbone. Grosse contrariété.

Je n’ai pas fait la moitié du dénivelé, et c’était son premier trail. Dans la colère, comme s’il était responsable, je dépose mon prédécesseur. Et d’un pas beaucoup plus sûr j’arrive à la base vie de MARGINEDA avec deux heures d’avance sur ma feuille de route. Je me pose, et compte prendre un peu de repos. Après avoir grignoté, mettre changé, je fais une attelle au bâton avec bout de bois ramassé et gaffeur (utile d’avoir toujours un petit rouleau au fond du sac), et je m’allonge. 45mn plus tard, la montre sonne, il est temps de se conditionner à partir. Jugeant ma restauration pas suffisante, je me reprends de la salade de riz et du jambon et prends le temps de l’ingurgiter. Petit check–up tout en « chaussant » mon sac, le moral est moyen, le physique est bon la fatigue est présente, j’ai froid. Rien d’anormal à ce stade de la course et à cette heure. Et tout d’un coup, surpris par la fulgurance, je me dois de partir à l’opposé de la sortie, vers les toilettes. Grelottant, je me vide.

Je dois être blême, je suis agars, je n’ai qu’une envie quitter cette base vie. Le film de l’an dernier passe en boucle et je m’y vois et revois dans ce gymnase rendre mon dossard.

Je pars. Il est deux heures du mat, je pars seul. Faute.

La nuit est noire et je suis sur pilotage automatique. Concentré sur mon état, je ne fais plus attention au marquage, et je m’égare. Un pont de pierre, un sentier, un ruisseau, à nouveau du goudron, un sentier qui monte, j’avance. Je suis la rubalise. Je monte. Je m’étonne du silence, et surtout l’absence de lumière aussi bien devant que derrière. Mes jambes montent, j’avance, c’est rassurant. Bizarre tout de même qu’ils aient changé le marquage, seulement de la rubalise et plus de pastille fluorescente. Au fil de la montée, et en train de naitre un soupçon, une suspicion d’erreur. Et je réalise d’un coup que depuis le début de cette montée, cela fait 45mn, je passe mon temps à m’enlever des fils d’araignée sur le visage. Il n’y a plus de doute, certain de ne pas être le premier, je fais erreur. Je dois redescendre. Demi-tour. En arrivant en bas du sentier, une flèche vers le haut indique : La MITIC !

Vient alors à ma rencontre un gars du staff. Ils ont vu ma lumière depuis l’autre versant (vu mon état je n’avais que celle à trois piles !). Trouvant étonnant qu’il y ait déjà un coureur sur la MITIC, il est venu. J’ai alors droit à un petit circuit en voiture, et il me remet sur le parcours là où j’ai bifurqué : un grand rond-point !

Je suis tel l’automate, tel le jouet que l’on vient de retourner et qui repart de l’avant. Le moral et le ventre sont out, les jambes avancent. Cette fois je suis sur la bonne voie et au pied d’une montée de 1000m. Il fait nuit noire, et je suis seul. Seule mes jambes me portent et me supportent, le reste part petit à petit dans le sommeil. Le chemin monte, puis devient piste. A plusieurs reprises je me retrouve dans les branches, bien que je ne faits que marcher je ne peux échapper à la chute. Je me cale côté montagne pour éviter de me retrouver plus bas.  Les paupières se ferment, et rien n’est là pour lutter. Je dors. A force, je me décide de me couvrir de tout ce que j’ai et essaye de faire un somme sur le bas côté. En vain, la mousse est humide, j’ai froid. Autant suivre les jambes, et avancer. Une ombre passe et je m’y accroche. Je ne suis plus seul, je peux dans l’instant me laisser aller. Plus besoin de voir, les paupières se ferment, je me guide aux sons de ses pas. Nous progressons lentement, le col se formalise, la forêt s’éveille, l’aube se lève. Avec le jour naissant et la descente, je reprends mes esprits et peux enfin partager les relais avec mon compagnon de route. Nous progressons très correctement en courant dans toutes les portions plates et descendantes. J’ai faim, mais la moindre bouchée me procure des nausées. J’ai hâte, et pour un bon moment, de retrouver de l’appétence. Inutile donc de forcer dans cet état d’Hypo. Incompréhension avec l’un des bénévoles, au point le plus bas du parcours il nous annonce le prochain ravito à 1000m. Ils nous paraissent bien long. Et pour cause, nous avions confondu distance et dénivelé !

Nous sommes blancs, blêmes et agars. Assis sur un banc, l’un comme l’autre nous nous essayons à la salade de riz. Bouchée par bouchée, très consciencieusement, sans s’attacher au temps qui passe, concentrés nous ingurgitons chaque cuillère. Je ne peux accompagner mon compagnon qui se décide à partir. Il me faut calmer, la tempête intestinale qui se prépare. Je me dois d’éviter tout tsunami. C’est donc assis couvert d’une couverture, une cuillère à la main (comme pouvait le faire DALI !) que je me laisse emporter. A peine celle-ci tombe au sol, je me lève, et repars à nouveau seul,  accompagner d’une grande lassitude. La portion du parcours traversé, n’est pas des plus agréable. J’avance au rythme de ma feuille de route sans aucune allégresse. L’effort est difficile, je ne fais que puiser depuis trop longtemps. J’avance tout de même correctement, au point de dépasser un groupe d’Espagnols et de Belges. Au ravito, je me surprends à reprendre une assiette de salade, mais le mal est fait. Cela fait depuis plus de 11h que je n’ai avalé qu’un gobelet de riz et quelques portions de bananes. J’aspirais à retrouver l’appétit plus tôt, cela fût ma préoccupation de la journée. Le moral est au plus bas, je n’ai plus aucune motivation, ni envie. Je sais à cet instant que je n’irais pas plus loin que la prochaine base vie, le PAS DE LA CASA. Décision prise, je me sens plus légers, et peux profiter de l’environnement traversé. Le rythme est régulier, nous sommes sur une portion commune avec la MITIC. Ils ne sont pas dans un meilleur état. Imperturbable mes jambes avancent depuis le début de cette aventure, mécaniquement et régulièrement. Ainsi je dépose et dépasse. Dernier ravito, je ne m’attarde pas. Nous évoluons dans un paysage magnifique,  forêts et rivières, grandes prairies, vaches et chevaux donnent le rythme aux sons de leurs cloches.  J’ai faim, et j’avale sans « grande » difficulté une grande plaine. Voici la montée, ma dernière montée, qui nous fait passer au point des trois frontières (Espagne, Andorre et France). Il fait frais, je crois passer le point le plus haut, mais nous avons droit à une descente suivie d’un raidillon bien costaud. Puis là bas, tout là bas la base vie. J’y cours, je dévale à toute allure, il est inutile de se préserver. Mais que c’est moche cette ville, se grand magasin, cette grande surface ou tout est à vendre. Décidé, je rentre dans le gymnase et rend mon dossard. Organisateurs et coureurs essayent de m’en dissuader, mais mon enthousiasme n’étant plus là, je préfère en rester là. Déçu

Depuis, je rumine. Il n’y a pas plus générateur de questions que l’abandon.

Pourquoi ai je été dans cet état ?

Pourquoi j’ai eu  ces malaises ? Pourquoi n’ai je pas pu lutter contre la fatigue ? Pourquoi je ne peux manger ? Pourquoi cette lassitude ?

Et c’est peut-être cette dernière, la plus difficile à comprendre et à accepter. Comment ai je pu en avoir marre, alors que je me prépare depuis plusieurs mois, que j’ai hâte d’y être, que je suis dans mon environnement …

Beaucoup de questions, et heureusement des réponses qui se formulent au fil du temps.

Je ne suis pas là pour souffrir mais pour profiter. Je souffre = j’arrête. Donc inutile de s’attarder sur de l’analyse à quatre francs six sous judéo-chrétienne (et mon devoir d’en baver !).

Les malaises peuvent s’expliquer par l’altitude, et mon manque d’adaptation. Aussi bien en phase d’entrainement, qu’avant la course. (troisième fois que cela m’arrive, à chaque fois avec des passages à 3000m et plus)

Et puis il y a le tout, le tout qui nous fait. Le tout qui fait que l’on est prêt le jour J, psychologiquement et physiquement. Le fait que l’on ait, ou pas, l’esprit libre et tranquille. Le contraire, génère un état de fatigue. Etat que j’associe à mon manque de motivation, de lassitude et de détermination.

Là, oui, il faut creuser bien plus loin que la course à pied.

Là, les directions et réponses qui s’esquissent sont plus profondes …

SORTENY / 21km :             3h33mn +1816/-1165m (Alt. 1938m)

ARCALLIS / 31Km :            2h36mn (6h09mn) +1154/-888m (Alt. 2205m)

Ravito 2 : 19mn

PLA ESTANY / 43Km :       2h35mn (9h05mn) +921/-1113m (Alt. 2010)

Ravito 3: 15mn

COMAPEDROSA / 49Km : 2h16mn (11h37mn) +897/-687m (Alt. 2222m)

Ravito 4: 18mn

MARGINEDA / 69Km :     4h51mn (16h48mn) +911/-2140m (Alt. 995m)

Base vie : 1h38mn

COMA BELLA / 90Km :    5h58mn (24h25mn) +1784/-1429m (Alt. 1347m)

Ravito 6: 42mn

PERAFITA / 110Km :         5h30mn

Ravito 7: 25mn

ILLA / 119Km :                    2h49

Ravito 8: 5mn

PAS DE LA CASA / 132Km : 3h (11h49mn) +3048 / -2340m (Alt. 2055m)

132Km / 36h57mn         +10543m / -9775m

Alt. Max : 2880m / 10h45mn

Alt. Mini : 869m / 23h21mn

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